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Sensibilisation Préjugés

« Il faut que nous, les personnes grosses, nous prenions notre place »

Premier rôle dans « Perturbations », court-métrage du réalisateur Jérôme Genevray réalisé dans le cadre de la Journée mondiale de l’obésité, Ted Etienne incarne un personnage victime de grossophobie. Il raconte le tournage, refuse la victimisation et brandit sa joie de vivre.

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Woman speaking to doctor

Comment êtes-vous arrivé dans le projet du court-métrage Perturbations ?

Mon agent de l’agence Arc-en-ciel m’a fait savoir que le scénariste et réalisateur Jérôme Genevray cherchait un acteur avec de l’embonpoint pour un court-métrage qui dénonçait la grossophobie. Au départ, je me suis montré sceptique, car la grossophobie peut très vite devenir une cachette.

C’est-à-dire ?

Je ne nie pas que la grossophobie existe et que des personnes en souffrent, mais il ne faut pas que cela devienne un réflexe systématique pour se protéger quand on est gros. D’autant que j’ai un peu de mal avec la notion qui consiste à affirmer que quelqu’un de gros est forcément malade, isolé ou qui n’aime pas la vie. Quand je suis arrivé dans le projet Perturbations, j’ai indiqué que j’acceptais le challenge, car la cause mérite qu’on en parle, que cette discrimination est intolérable, et qu’en France 10 millions de personnes sont en surpoids ou en obésité. Mais j’ai aussi expliqué que je ne souhaitais pas que le court-métrage soit moralisateur. Au contraire, il doit prôner la vie. D’accord pour affirmer que l’obésité peut entraîner la maladie, mais d’accord aussi pour dire que les personnes grosses ne doivent pas s’isoler, qu’elles doivent prendre leur part dans la société, qu’elles puissent rayonner. En un mot, vivre leur life.

A vous entendre, vous semblez proche de la tendance body-positive ?

Ce n’est pas faux, mais attention… Car lorsqu’on revendique son poids, c’est comme si on validait le fait de dire « Gros, c’est quand même cool, non ? »… Et je ne dis pas ça ! Il faut toujours garder à l’esprit que l’obésité est une maladie, une vraie pathologie. Je l’entends et je l’accepte, mais pas question d’encourager la consommation de malbouffe… Je suis d’accord pour dire que les personnes grosses doivent s’assumer, mais pas question d’encourager les gens à faire n’importe quoi au niveau de leur nutrition.

Quelle est la trame du court-métrage Perturbations ?

C’est l’histoire de Victor, que j’incarne. C’est un employé qui doit se rendre aux Etats-Unis en avion. Sauf que les places dans les avions sont calibrées pour la majorité de la population et pas du tout pour les gens qui ont des formes. Victor va vivre différentes péripéties à l’intérieur de cet appareil et il va subir plusieurs agressions et insultes en raison de sa corpulence. Il va devoir composer avec cette situation et œuvrer pour faire changer le regard sur lui dans cet espace plutôt exigu…

Pour voir le film, rendez-vous sur :

Y parvient-il ?

Oui, il y parvient. C’était d’ailleurs une condition pour moi de participer à ce court-métrage. C’est très important pour moi de montrer que ce film montre le plaisir de vivre. Dans l’écriture du scénario, Victor se montrait un peu agressif dès la première scène. J’ai gommé cet aspect en arrondissant son caractère, en le rendant moins tendu. Ce n’est pas parce qu’on est gros qu’on en veut au monde entier et que le monde entier vous en veut.

Comment s’est déroulé le tournage de Perturbations ?

Parfaitement, il a duré quatre jours. L’équipe de Jérôme Genevray est formidable, tout le monde est efficace, tout le monde s’écoute. Nous avons d’abord tourné les scènes de l’avion pendant trois jours à Coulommier, en région parisienne. Les dernières prises ont eu lieu dans un restaurant à Paris pour montrer l’ambiance d’un aéroport. En fait, on a commencé le tournage par la fin. C’est souvent comme ça au cinéma.

Comment vous êtes vous préparé ?

Le plus simplement possible. J’ai lu le scénario de mon côté, puis on l’a lu en bande avec tous les comédiens réunis. Cela permet de savoir si le rythme est bon, si le texte sonne bien à l’oreille. Ensuite, j’ai ma technique personnelle : j’apprends mon texte deux minutes avant de jouer. Cela me permet de m’adapter immédiatement si le réalisateur me demande de changer les paroles au moment du tournage. Si tu répètes le texte la veille, le risque, c’est d’avoir le cerveau figé sur ce qu’il a mentalisé. Les modifications deviennent alors plus compliquées au moment de jouer la scène.

A quel moment avez-vous découvert votre obésité ?

J’ai tout le temps été gros. Mais ce n’est qu’à l’âge de 22 ans que j’ai réussi à accepter mon poids. Avant, j’étais très complexé parce que tous mes potes avaient des copines et pas moi. Pourtant, les filles venaient tout le temps me voir pour discuter et je faisais rire toute la bande. Sauf que je restais le bon copain célibataire. A 22 ans, j’ai eu le déclic. Je m’en souviens, j’étais devant mon ordinateur. Je me suis regardé et j’ai compris que je ne m’aimais pas. Je me suis dit : « On fait quoi ? ». À partir de là, j’ai cherché à faire, de ma corpulence, une force. Ce corps-là me permet d’être différent des autres et de marquer les esprits. J’ai réalisé ce cheminement tout seul, sans être aidé.

Etes-vous passé par la case « régime » ?

Oui, et je soupçonne très fortement les régimes de m’avoir fait grossir. Je maudis ces régimes qui sont vendus à grands coups de publicité et qui coûtent très cher. A cause d’eux, j’ai connu l’effet yo-yo et ils m’ont fait plus de mal que de bien.

Est-ce compliqué d’être acteur et gros ?

En fait, en France, cela n’existe quasiment pas. C’est même difficile de citer deux ou trois acteurs ou actrices gros ou grosses dans le milieu du cinéma, car il n’y a en pas. Ou presque plus puisque les quelques acteurs gros qu’on pouvait rencontrer, ils ont maigri pour pouvoir décrocher des rôles. Avant, il y avait Jacques Villeret, c’est tout. Ce qui est sûr, c’est qu’on parle souvent de la pluralité ethnique, de la diversité des sexes, de la question de l’âge, mais très rarement du sujet de la corpulence. Pourtant, on existe. Il faut donc que nous, les personnes grosses, nous prenions notre place. J’espère représenter les gens qui me ressemblent avec la conviction qui est la mienne.

Ne prenez-vous pas le risque d’être catégorisé ?

Si bien sûr, parce que nous sommes en France, et qu’ici, on marche par case. C’est vrai qu’on m’appelle plutôt pour jouer le rôle du geek ou du bon pote. Qu’on me classe ainsi, ne me gêne pas. Il y a une place à prendre et cela ne me pose aucun problème d’être dans des rôles catégorisés. Je ne veux pas être le jeune premier, je m’en moque. Je veux être moi.

Avant de participer à ce court-métrage, aviez-vous déjà abordé le sujet du poids et la place des personnes en situation d’obésité ?

Oui, dans un one man show, en 2015. J’arrivais sur scène en slip. Je ne suis pas complexé par mes formes et donc je les montrai. Je disais au public :
« Voyez, je n’ai aucun complexe avec mon corps, n’ayez donc aucun complexe avec le vôtre, allez, c’est parti… On va parler de choses qui fâchent ». L’idée, c’était de parler de tout et surtout s’aimer soi-même pour que les autres puissent nous aimer.

Voir le film :

Là, vous parlez de votre vie d’artiste et de la scène, mais dans la vie quotidienne, avez-vous été victime de discrimination liée à votre poids ?

Non. J’ai beaucoup de chance d’avoir une famille qui m’aime énormément, des amis formidables, et surtout de la répartie. Quand quelqu’un me chatouillait un peu là-dessus, je répliquais et ça le stoppait net. Quand tu es jeune et gros, tu as deux choix : soit être le comique de service, soit représenter le gros renfrogné qui en veut à la société, à la vie, au monde, etc. Moi, j’ai choisi le côté positif, en jouant sur l’autodérision. Mon poids n’est pas un sujet tabou.

Selon vous, quel regard la société porte-t-elle sur l’obésité ?

Je pense que la société s’en moque. Les gens sont tellement autocentrés qu’ils ne se regardent plus entre eux. Le seul moment où, je pense, ils font attention à l’obésité, c’est quand ils entrent en contact, qu’ils cultivent des relations humaines, et qu’ils nouent des rapports amoureux. C’est l’un des rares moments où ils se rendent compte que la personne en face est grosse.

Philippe Saint-Clair

Du théâtre du Mans à OSS 117 et Astérix

La valeur n’attend pas le nombre des années. A 32 ans, Ted Etienne, souriante force de la nature au grand coeur, affiche déjà un joli palmarès artistique. Originaire du Mans, il fait ses premiers pas dans l’improvisation théâtrale alors qu’il n’est qu’adolescent. Son poids, il en fait sa carte de visite.

Très tôt, il écrit des sketches, se produit en one man show, reçoit plusieurs prix d’humour, tourne quelques publicités « histoire de mettre du beurre dans les épinards » avant de donner, en 2019, la réplique à Jean Dujardin dans « OSS 117 - Alerte rouge en Afrique noire».

Deux ans après, il décroche ses premiers seconds rôles à la télévision avec « Tikkoun » et « Simon Coleman » dans lequel il incarne un policier hacker. « L’épisode pilote a été diffusé et il a tellement bien marché que deux nouveaux épisodes seront tournés en 2023 », s’enthousiasme le jeune artiste.

Associée à son talent et son énergie, la bonhomie de ce rouquin aux bouclettes joviales, le propulse sur le tournage d’Astérix, la superproduction de Guillaume Canet sortie début février dans les salles. « J’ai vécu dix jours dans le village gaulois, raconte l’acteur métamorphosé en Paindemix, le boulanger. C’était exceptionnel de se retrouver au milieu d’autant de stars. Jamais, je n’aurais imaginé jouer avec Pierre Richard, Gilles Lellouche, Marion Cotillard, Canet, Commandeur, Ramsy… Lors du banquet final, on était 47 autour de la table et il y avait 6 inconnus, dont moi. Quand je pense que je lisais Astérix dans ma chambre et qu’aujourd’hui, je suis au générique du film… ».

Dans un coin de sa tête d’éternel gamin, Ted Etienne rêve de jouer Obélix. « C’est un personnage qui me touche, qui me ressemble. On cherche toujours des pères, des gens à qui on peut ressembler. Obélix, il est touchant, fort, c’est un homme avec des pâquerettes dans les yeux ». Outre ses projets cinématographiques, Ted Étienne poursuit sa collaboration avec LeStream sur la plateforme Twitch et rédige des critiques de film sur AlloCiné. Sa potion magique à lui, c’est sa joie de vivre.

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