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Obésité

Professeur Jean-Pierre Faure : « La chirurgie de l’obésité s’adresse à un patient bien préparé »

Spécialisé dans les interventions bariatriques, ce médecin expert du Centre hospitalier universitaire de Poitiers nous a accordé un long entretien. 
Avec sincérité, il parle de son activité de chirurgien, des techniques opératoires en pleine mutation et livre son point de vue sur le quotidien des patients opérés.

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Woman speaking to doctor

Pouvez-vous faire un état des lieux de la chirurgie bariatrique en France ?

La chirurgie bariatrique en France est une activité très importante1
Après nos collègues américains et brésiliens, nous sommes, dans le monde, le troisième pays en nombre de procédures de chirurgie bariatrique réalisées par an2.  Le niveau le plus élevé ( ou l’acmé) a eu lieu en 2016 avec près de 60 000 interventions3. Depuis, cette activité s’est assagie pour atteindre 35 000 à 40 000 interventions par an, en raison à la fois de la Covid, mais surtout d’une maturation de la chirurgie bariatrique3,4. Et c’est tant mieux ! Nous avons franchi la période de l’adolescence un peu folle de la chirurgie bariatrique pour arriver à l’âge de raison avec un rythme beaucoup plus maîtrisé d’interventions. Les personnes en situation d’obésité possèdent des gènes de prédiction et ces gènes s’expriment lorsqu’on se trouve dans un environnement propice, c’est-à-dire obésogène.

Depuis quand opère-t-on en France ?

On trouve les pionniers de la chirurgie bariatrique dans les années 90. 
On peut faire un parallélisme avec la cœlioscopie, qu’on appelle aussi laparoscopie. La chirurgie de l’obésité a vraiment suivi le développement de cette technique mini-invasive.

Quelle est l’histoire de la chirurgie bariatrique ?

Il existe un historique de la chirurgie de l’obésité. Elle a commencé aux Etats-Unis avec des ex-chirurgiens militaires. Ils avaient vu, en Corée et au Vietnam, des soldats victimes de mutilations qui présentaient des pertes de poids importantes liées à la présence d’intestins grêles très courts. Ce qui provoquait chez eux une malabsorption majeure. Comme ces victimes perdaient du poids, le monde de la santé s’est dit qu’il fallait travailler ce sujet. Les premiers travaux de recherche ont donc été axés sur le segment du tube digestif conçu pour absorber les nutriments. C’est en 1954 que la première intervention conduisant à une malabsorption a eu lieu sur une patiente en obésité massive. Après des années de recherche, un chirurgien américain a agi sur l’estomac, c’est-à-dire la grosse poche dans laquelle les aliments vont se loger. S’il a pensé à travailler dans ce sens, c’est qu’historiquement les chirurgiens digestifs s’occupaient du traitement chirurgical de l’ulcère de l’estomac. Comme il n’existait pas de traitement médicamenteux pour traiter les ulcères gastriques, le praticien devait couper un bout d’estomac pour enlever l’ulcère(5)

Et plus l’estomac est petit, moins l’apport alimentaire est important et ainsi on perd du poids…

Tout à fait. Le principe de base de la chirurgie bariatrique était né : limiter les apports en diminuant la taille de l’estomac. C’est ce qu’on appelle la restriction, qui est l’effet procuré par les interventions de type anneau gastrique et sleeve. Historiquement, cette restriction était couplée à de la malabsorption qui était souvent très importante. Cela a pu induire des complications à type de dénutrition très grave.
Il fallait simplifier les gestes chirurgicaux et les suites opératoires : c’est pourquoi l’attention a été recentrée sur la restriction avec l’anneau gastrique (6), puis la sleeve. Actuellement, la malabsorption est mieux maîtrisée et les travaux actuels visent à calibrer les interventions pour associer restriction et malabsorption sans en avoir les effets indésirables.

S’agit-il de la technique de l’anneau gastrique ?

Oui, ces équipes se sont inspirées d’une vieille idée qui consistait à placer un anneau autour de l’œsophage pour empêcher l’acidité gastrique de remonter. Cela ne marchait pas pour cette indication, mais elles ont pensé à installer un anneau sur l’estomac pour créer une petite poche et une grande poche. Cela a permis au patient de manger moins en quantité, en remplissant uniquement la petite poche avec les aliments. C’est ainsi qu’est né l’anneau gastrique. Cette innovation a démocratisé la chirurgie bariatrique, car il s’agissait d’une intervention assez simple et mini-invasive. La pose d’anneau s’est multipliée, avec, au début, très peu de prise en charge. C’était d’abord une histoire de chirurgiens très volontaires qui annonçaient aux patients qu’ils allaient enfin maigrir. Sauf que si cela a très bien marché pour certains patients, cela a été une catastrophe pour d’autres. Parallèlement à l’anneau, d’autres techniques se sont développées.

Et plus l’estomac est petit, moins l’apport alimentaire est important et ainsi on perd du poids…

Tout à fait. Le principe de base de la chirurgie bariatrique était né : limiter les apports en diminuant la taille de l’estomac. C’est ce qu’on appelle la restriction, qui est l’effet procuré par les interventions de type anneau gastrique et sleeve. Historiquement, cette restriction était couplée à de la malabsorption qui était souvent très importante. Cela a pu induire des complications à type de dénutrition très grave.
Il fallait simplifier les gestes chirurgicaux et les suites opératoires : c’est pourquoi l’attention a été recentrée sur la restriction avec l’anneau gastrique (6), puis la sleeve. Actuellement, la malabsorption est mieux maîtrisée et les travaux actuels visent à calibrer les interventions pour associer restriction et malabsorption sans en avoir les effets indésirables.

Lesquelles ?

La sleeve gastrectomie est arrivée en 1998/1999 grâce au docteur québécois Michel Gagner(7). Il prenait en charge des patients en obésité massive et leur proposait une intervention complexe qui débutait en réduisant la taille de l’estomac. Sauf que pour un groupe de patients en situation de très grande obésité, il n’a pas pu terminer le geste chirurgical prévu : ainsi est née la sleeve, car il a vu que ces patients perdaient du poids avec ce geste unique. Il a été le pionnier de l'utilisation de la gastrectomie laparoscopique en manchon ou sleeve dont le principe est de limiter la capacité de l'estomac de façon importante car nous amputons la capacité gastrique de quasiment 80%. Progressivement cette procédure est devenue l’intervention la plus pratiquée dans le monde, car elle est mini-invasive, efficace et surtout facilement compréhensible par les patients. De plus, la perte de poids était meilleure qu’avec l’anneau. Au départ, il a fallu prouver que c’était une vraie technique en soi. Mais après de très nombreuses publications et des travaux d’équipes expertes, l’efficacité de la sleeve pour traiter la maladie de l’obésité a été validée, puis remboursée par les caisses d’assurances maladie en France. Pour réaliser les interventions dans les meilleures conditions, les progrès des ingénieurs qui conçoivent les dispositifs médicaux ont été également déterminants. Cette convergence de connaissances, de savoir-faire et de technologie a définitivement permis le développement de la chirurgie bariatrique dans des conditions optimales au cours des vingt dernières années.

Le bypass et la sleeve sont-ils en concurrence ?

Non, on ne peut pas parler de concurrence, car ce ne sont pas les mêmes indications. La sleeve est une technique restrictive pure, le bypass (8) est une technique mixte restrictive dans laquelle on apporte un peu de malabsorption. Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir proposer plusieurs types d’interventions. Prenons le cas d’une jeune patiente de 23 ans en obésité massive : on va lui proposer une sleeve, car elle est jeune, qu’elle sera peut-être maman et techniquement l’intervention sera plus facile. Pour une patiente de 45 ans, qui a déjà élevé ses enfants, qui présente une obésité avec du diabète, des apnées du sommeil et une hypercholestérolémie, on va plutôt lui proposer la technique du bypass. On peut aussi se retrouver en présence d’un patient qui, dans son bilan, souffre d’un reflux gastro-œsophagien. On va plutôt lui proposer le bypass que la sleeve, car la vraie difficulté avec la sleeve, si j’en crois mon expérience, ce sont les remontées acides dans quasiment un cas sur deux(9).

Tous les types de chirurgie bariatrique conviennent-ils à tout le monde ou bien faut-il adapter en fonction du patient ?

A chaque patient, un type d’intervention, mais surtout, il ne faut pas opérer tout le monde. La chirurgie bariatrique a aussi compris qu’elle devait être accompagnée d’une prise en charge multidisciplinaire. S’il faut travailler l’assiette, il faut aussi travailler la tête. En règle générale, la première contre-indication provient du psychologue ou du psychiatre. L’accord doit aussi venir du nutritionniste, bien sûr. Tout le monde a son mot à dire, sans oublier le médecin traitant qui connait bien sa patientèle, mais qui reste peu sollicité pour ces indications de chirurgie.

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La chirurgie bariatrique est-elle toujours couronnée de succès ou enregistre-t-elle des échecs ?

La chirurgie est actuellement la méthode la plus efficace pour perdre du poids. Mais oui, il y a des échecs, car nous pouvons rencontrer des patients qui ne perdent pas de poids. Il faut chercher une partie de la cause du côté de la prise en charge. Soit, elle est trop rapide ou trop légère, soit le suivi n’est pas assez rigoureux. Opérer un patient qui n’est pas prêt ne présente aucun intérêt car le résultat sera mauvais à moyen et long terme.

Quelles sont les principales obligations d’un patient qui a vécu une opération de chirurgie bariatrique ?

Nous avons des objectifs sécuritaires, diététiques en particulier, assez simples. Ne pas boire en mangeant. Cela signifie qu’il convient de boire une demi-heure avant le repas et une demi-heure après le repas. En clair, il ne faut pas mettre de verre à table. Ne pas consommer de boissons gazeuses, car elles dilatent l’estomac. Le temps de repas est aussi très important. Il faut y consacrer une demi-heure minimum, mâcher correctement. Quelle que soit l’intervention, les patients vont manger moins en quantité en raison de la petite taille de l’estomac bien sûr, sinon cela peut induire des douleurs voire des vomissements. Mais les choses sont plus complexes : il faut tromper son cerveau. Si on mange vite, l’information de satiété arrivera au cerveau après qu’on ait dévoré tout ce qui était dans l’assiette. Si on prend son temps pour manger, on mange moins car le cerveau va avoir une sensation de satiété pour une quantité d’aliments ingérés beaucoup moins importante.

Comment doivent se nourrir les patients opérés ?

Il existe des aliments clés. Le but de la chirurgie, c’est de perdre du gras et non pas du muscle. Comme les patients mangent très peu en quantité, il faut donc penser à préserver le muscle en consommant des aliments riches en protéines. Les patients doivent avoir un apport d’aliment protéiné à chaque repas. Cela peut être de la viande, du poisson, des laitages, du blanc d’œuf, des fruits de mer… Ces éléments doivent être bien établis et cadrés dans tous les menus. Dans le cadre de la prise en charge, ces objectifs doivent être acquis avant l’intervention.

Peuvent-ils se nourrir tout de suite après l’intervention ?

En post-opératoire immédiat, le patient se nourrit avec de très petites quantités. Dès le retour du bloc opératoire, les infirmières donnent un verre d’eau au patient. Il va boire une gorgée, puis une deuxième vingt minutes plus tard. On lui propose ensuite un yaourt ou une compote. En fait, le patient va tremper la cuillère et simplement lécher. De toute façon, il n’a pas faim. On ne lui impose rien, on le laisse tranquille. Il faut que les aliments soient très fluides, sans consistance. On leur conseille même de mâcher le yaourt. Souvent, les diététiciens préparent le retour du patient à la maison en prenant l’image du bac à glaçons. Car au début, un repas, c’est la taille d’un glaçon !

Quel suivi médical doit-il suivre ?

Le diététicien ou le nutritionniste doit revoir le patient trois semaines après l’intervention. A ce moment-là, le patient mange l’équivalent d’un petit-suisse. Il faut alors regarder l’apport protéiné, les féculents… Il convient de maîtriser ce fonctionnement alimentaire, car, pour être efficace, il doit être suivi à vie.

A vie ?

Oui, car le risque de la reprise de poids existe. Après l’opération, la courbe de poids chute de façon assez brutale avec des résultats bluffants les premières années. On appelle cela « la lune de miel ». Elle dure, deux, trois ou quatre ans. C’est assez variable selon les patients. On s’est rendu compte que cette « lune de miel » s’arrêtait lorsque l’entourage était moins dans l’empathie avec le patient. C’est normal, car, avec le temps, on prête moins attention au fait qu’il a maigri, qu’il a changé… Le patient prend un petit coup au moral. De plus, les règles nutritionnelles et d’hygiène alimentaire sont contraignantes, difficiles à respecter. Petit à petit, il s’éloigne de la prise en charge, voit moins souvent l’équipe pluridisciplinaire. Il se sent bien et mange un petit peu plus. C’est humain. Parfois, les reprises de poids peuvent être assez importantes.

Qui dit reprise de poids dit réintervention ?

Pas nécessairement. La plupart des patients qui ont perdu du poids, même s’ils en ont repris un peu, se sentent plus à l’aise avec leur corps, confortables dans leur alimentation et leur mode de vie. Ce qui est intéressant dans la chirurgie de l’obésité, c’est la qualité de vie des patients. Un patient opéré peut, par exemple, refaire du vélo avec ses enfants ou, enfin, recevoir une prothèse pour son genou. L’amélioration de la qualité de vie est au cœur de la préoccupation de la chirurgie bariatrique.

Existe-t-il un ordre dans les interventions bariatriques ?

Non pas d’ordre à suivre, mais des bénéfices différents pour chaque intervention. En théorie, il faut proposer la bonne intervention au bon moment pour un patient parfaitement préparé. En pratique, c’est plus complexe car les patients peuvent avoir un échec d’une technique et il faudra parfois réintervenir.
L’anneau gastrique est une technique réversible, car on peut l’enlever facilement. Cependant, on en place de moins en moins. La sleeve est, a priori, non-réversible, car on enlève jusqu’à 80% de l’estomac. Le bypass est décrit comme procédure non réversible, en réalité on peut revenir en arrière, mais c’est très exceptionnellement nécessaire.
Il est vrai qu’avec le temps l’estomac se dilate. On pourrait, à l’extrême, imaginer une séquence anneau-sleeve-bypass. Nous avons quelques patients qui ont connu ce parcours, mais on sait aussi que, plus on opère les patients, moins bonne sera la perte de poids. On essaie d’éviter la séquence anneau-sleeve, car l’anneau est une technique restrictive qui diminue la taille de l’estomac, tout comme la sleeve. Si on constate un échec avec l’anneau, il n’est donc pas très logique d’enchaîner avec une sleeve. On propose plutôt au patient d’enlever l’anneau et de mettre en place un bypass afin d’associer restriction et malabsorption. On gagnera en efficacité.

Quelles sont les idées fausses qui circulent sur la chirurgie bariatrique ?

L’idée fausse, c’est de croire que c’est miracle, que ça marche tout seul. Non, ce n’est pas un miracle ! Pour marquer l’esprit des patients, je leur dis que 90% du travail les concerne. Lorsqu’on rencontre des groupes de patients, on leur dit qu’on va les aider si on peut. Il ne faut pas les faire culpabiliser, mais que leur implication est indispensable. Il ne faut pas leur vendre du rêve, il faut garder les pieds sur terre.

La chirurgie est-elle une solution de facilité, un remède à l'obésité ou l'ultime recours pour perdre du poids ?

Les patients disent souvent qu’ils ont tout tenté pour perdre du poids, qu’ils ont dépensé beaucoup d’argent dans tous les régimes du monde et que la chirurgie est leur dernier recours. Cette litanie, on l’entend fréquemment. Moi, je leur dis que la chirurgie est un outil, une canne sur laquelle ils vont pouvoir s’appuyer pour perdre du poids.

Comment la réglementation de la chirurgie bariatrique a-t-elle évolué au fil du temps ?

Elle est mieux encadrée et c’est normal. Les chirurgiens doivent respecter les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Il ne faut pas proposer une chirurgie à un patient qui n’entre pas dans un cadre d’indication opératoire. La chirurgie bariatrique s’inscrit dans un parcours pluridisciplinaire organisé et doit obéir à des critères précis. Il n’est pas normal de proposer un acte de chirurgie à un patient dont l’IMC n’est pas suffisant ou qui ne bénéficie pas d’un suivi sérieux. Dans tous les cas, il faut passer par une demande d’entente préalable.

C’est-à-dire ?

La demande d’entente préalable consiste à demander à la caisse d’assurance maladie du patient l’autorisation de réaliser l’intervention de chirurgie bariatrique. Pour se faire, nous devons fournir les données morphologiques du patient, les accords multidisciplinaires et la fiche de réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). C’est un moment de partage important avec les autres parties prenantes du suivi, comme le psychologue ou le nutritionniste. Le chirurgien, c’est l’ouvrier spécialisé qui fait le geste d’opérer, mais il doit s’entourer du meilleur environnement possible. Je sais, pour le vivre au quotidien, qu’un patient qui n’est pas préparé correctement à une chirurgie enregistrera un mauvais résultat à moyen ou à long terme10. Cette demande d’entente préalable colle aux recommandations de la HAS qui, par exemple, stipulent que pour un patient dont l’indice de masse corporelle (IMC) est entre 35 et 40, il doit, pour pouvoir être opéré, avoir une comorbidité susceptible d’être améliorée par la perte de poids telle que l’hypertension, le diabète, apnée du sommeil, etc. Si l’IMC est supérieur à 40, la présence de comorbidité n’est pas nécessaire pour opérer10.

Jusqu’ici, la chirurgie bariatrique était réservée au traitement de l’obésité sévère. Mais la HAS vient de donner un avis à son remboursement pour les personnes diabétiques de type 2 dès que l'IMC est supérieur ou égal à 30. Que pensez-vous de ce virage version « chirurgie métabolique » ?11

C’est intéressant, car il s’agit d’une évolution assez naturelle de l’histoire de la chirurgie de l’obésité. En se transformant en chirurgie métabolique, cette mutation permet de travailler, non seulement, à la perte de poids, mais cela signifie également qu’on agit sur les maladies associées. Cela va considérablement améliorer la qualité de vie des patients. Si on prend le cas du diabète, on peut obtenir une diminution, voire une rémission de cette pathologie (11). Le bénéfice d’être en rémission de son diabète est majeur, car cette maladie peut avoir des complications majeures sur les yeux, les reins, etc.

Quelles sont les erreurs commises à l'époque et corrigées aujourd'hui ?

La prise en charge multidisciplinaire. Il y a vingt-cinq ans, un patient venait voir un chirurgien et, quelques semaines plus tard, il ressortait avec un anneau. Cela n’arrive plus. Aujourd’hui, tous les chirurgiens sont conscients de l’importance de la prise en charge pluridisciplinaire. D’ailleurs, dans les congrès de chirurgie bariatrique, on rencontre de plus en plus de psychologues, de diététiciens, de nutritionnistes, d’experts en éducation thérapeutique et d’éducateurs en activité physique adaptée. Et c’est très bien ainsi. La préparation et le suivi sont capitaux.

Comment la technologie a-t-elle évolué depuis les débuts de la chirurgie bariatrique ?

La cœlioscopie a constitué un tournant à partir des années 90. Cette technique chirurgicale, qui permet d'accéder à l'intérieur de l'abdomen par de petites incisions de la paroi abdominale, va être utilisée encore longtemps. Actuellement, nous assistons à l’émergence de la cœlioscopie robot-assistée. C’est la dernière nouveauté technologique et c’est le futur. 

Selon mes renseignements, prés de 1 900 interventions de chirurgie bariatrique ont été réalisées via la robotique en France en 2022, mais ce chiffre va forcément grandir.

Comment cela se passe-t-il ?

Le chirurgien se trouve à distance du patient, il est assis devant une console et travaille avec des joysticks et des pédales en voyant ce qu’il fait sur un écran 3D : c’est de la télémanipulation, rien à voir avec un robot qui serait autonome, rassurez-vous ! Le robot chirurgical est doté de quatre bras articulés : le premier gère l’optique et les trois autres utilisent des instruments presque identiques à ceux pour la chirurgie cœlioscopique classique, mais qui ont une mobilité incroyable, leurs donnant une précision non atteinte jusqu‘alors en coeliochirugie.

Cela est très utile, par exemple, pour réaliser des points de suture dans des endroits peu accessibles de l’abdomen. De plus, sur une opération qui dure longtemps, et où l’équipe chirurgicale doit parfois tenir des positions très contraignantes physiquement le robot, lui, ne fatigue pas. Il reste précis, contrairement à l’être humain dont la dextérité peut faiblir.
Cela impose un apprentissage spécifique, mais cette technologie est géniale et donne des résultats très efficaces.

Qu'offre la formation à Poitiers aux chirurgiens émergents ?

En médecine ou en chirurgie, on apprend toute sa vie. A Poitiers, on apprend à travailler avec le robot. Ce sont des interventions exigeantes techniquement, mais la formation est rapide, car le principe de fonctionnement est très intuitif. L’utilisation du robot opératoire est réglementée par l’acquisition d’une formation spécifique de l’ensemble de l’équipe de chirurgie. Ceux qui pratiquent le reconnaissent vite : opérer en robot-assistance est plus facile que pratiquer la cœliochirurgie. Le niveau de compétences des chirurgiens qui adopteront la robotique montera très vite.

Dernière question, que pensez-vous des résultats de cette récente étude québécoise (12) qui assure que la perte de poids suite à une chirurgie bariatrique favorise le rajeunissement du cerveau ?

Cela ne m’étonne pas, car si on regarde la qualité de vie des patients après une opération, ils rajeunissent dans leur tête et dans leur physique. Ils peuvent faire des choses qu’ils ne pouvaient pas faire avant. Et ce n’est pas une lubie ! Un patient en situation d’obésité qui perd du poids gagne sept ans de vie. Un patient en situation d’obésité diabétique qui perd du poids, dont le diabète entre en rémission, gagne neuf ans de vie(13). Je ne sais pas si le cerveau rajeunit, mais ce qui est sûr, c’est que malgré les règles à respecter, le bénéfice l’emporte largement sur la contrainte. Y compris pour les patients qui connaissent des complications liées à des comorbidités. 

Je suis toujours impressionné par leur capacité de rebond et de les voir retrouver la joie de vivre.

 

Philippe Saint-Clair

Les deux casquettes du professeur Faure

Le professeur Jean-Pierre Faure possède deux casquettes. Celle de chirurgien viscéral, spécialisé dans la chirurgie de l’obésité au CHU à Poitiers où il est également expert en chirurgie robotique.
Autre axe de travail pour ce praticien qui a fait son internat en 1993, la formation des étudiants, des médecins et des personnels de bloc opératoire.

Enseignant d’anatomie au laboratoire de l’université de Poitiers où il pratique la formation par simulation, le professeur Faure assure la responsabilité du Centre du Don du corps de l’université de Poitiers à des fins d’enseignement médical et de recherche.

Références
  1. Chirurgie de l’obésité, ce qu’il faut savoir avant de se décider. Haute Autorité de Santé. 
    https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2009-09/brochure_obesite_patient_220909.pdf 
  2. S. Halimi. Chirurgie bariatrique : état des lieux en France en 2019. Médecine des Maladies Métaboliques, Volume 13, Issue 8, December 2019.
  3. Philippe OBERLIN et Christine de PERETTI. Chirurgie de l’obésité : 20 fois plus d’interventions depuis 1997. Etudes et Résultats. DREES. Février 2018 - Numéro 1051
  4. Dr Julien EMMANUELLI, Vincent MAYMIL, Pierre NAVES. Situation de la chirurgie de l’obésité. Inspection générale des affaires sociales. Janvier 2018 - N°2017-059R
  5. J.-L. Schlienger. De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique : une histoire en devenir Partie 1. L’histoire de la chirurgie bariatrique. Médecine des Maladies Métaboliques. Volume 9, Issue 7, November 2015, Pages 714-719. Doi : 10.1016/S1957-2557(15)30256-X
  6. Technique de l’anneau gastrique ajustable. Haute Autorité de Santé.
    https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2009-09/fiche_technique_anneau_gastrique_080909.pdf
  7. Technique de la gastrectomie longitudinale. Haute Autorité de Santé. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2009-09/fiche_technique_gastrectomie_080909.pdf
  8. Technique du bypass gastrique. Haute Autorité de Santé. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2009-09/fiche_technique_bypass_080909.pdf
  9. Mustafa El-Hadi, Daniel W. Birch, Richdeep S. Gill, Shahzeer Karmali. The effect of bariatric surgery on gastroesophageal reflux disease. Can J Surg. 2014 Apr; 57(2): 139–144. Doi: 10.1503/cjs.030612.
  10. Obésité : prise en charge chirurgicale chez l’adulte. Recommandations Janvier 2019. Haute Autorité de Santé. 
  11. La chirurgie métabolique en dernier recours en cas de diabète de type 2 couplé à une obésité modérée. Haute Autorité de Santé. 12 oct. 2022
  12. Etude (https://cervo.ulaval.ca/fr/impact-neurocomportemental-de-la-perte-de-poids-induite-par-la-chirurgie-bariatrique) réalisée par Andréanne Michaud, professeur à École de nutrition de l’Université Laval et chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval.
  13. Patrick RITZ, Hélène HANAIRE, CHU et CIO de Toulouse. Rémission du diabète de type 2 après chirurgie de l’obésité. 24 fév 2023. diabetologie-pratique.com
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