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Obésité

« Nos sociétés modernes provoquent l’épidémie d’obésité »

En publiant « La vérité sur l’obésité », Hélia Hakimi-Prévot, journaliste au Quotidien du Médecin, propose un ouvrage complet sur les mécanismes de l’obésité, la prévention et le soin. L’occasion de lever le voile sur un défi sanitaire majeur.

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Woman speaking to doctor

Votre livre annonce vouloir « rétablir la vérité » sur l’obésité. Pourquoi ce titre ?

Il existe beaucoup d’idées reçues sur l’obésité. La première, qui est partagée par le grand public et trop souvent par les professionnels de santé, consiste à penser que les personnes en situation d’obésité manquent de volonté, sont paresseuses, se laissent aller. Finalement, on deviendrait gros parce qu’on est nul et qu’on ne se bouge pas assez. Même les médecins qui devraient savoir que l’obésité est une maladie chronique posent parfois un regard à tort accusateur. Or, l’obésité est une accumulation anormale de graisse corporelle pouvant nuire à la santé. Cette définition, pourtant établie par l’Organisation mondiale de santé, n’est pas forcément bien connue des professionnels de santé médicaux et paramédicaux. A travers mon ouvrage, je voulais montrer qu’il existe une inégalité, une injustice génétique entre les personnes. Ce n'est pas possible d'être en situation d’obésité sans facteurs génétiques. 
Les personnes en situation d’obésité possèdent des gènes de prédiction et ces gènes s’expriment lorsqu’on se trouve dans un environnement propice, c’est-à-dire obésogène.

Vous cherchez donc à dire stop aux idées reçues ?

Exactement. Il est temps de frapper un grand coup et d’informer la population, qu’elle soit concernée ou pas par l’obésité. Il faut expliquer qu’on ne se retrouve pas en situation d’obésité parce qu’on est assis toute la journée sur son canapé, à manger tout et n’importe quoi, et sans aucune activité physique. Ce n’est pas cela l’obésité.
Mon livre apporte toutes les références scientifiques qui permettent de déminer chaque idée reçue.

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

Je suis journaliste au « Quotidien du médecin », notamment pour les cahiers Nutrition. On sait que l’obésité touche 17% de la population française. Pourtant, c’est un fléau dont on parle peu en profondeur. Aujourd’hui, si on additionne le surpoids et l’obésité, cela concerne un Français sur deux et six Européens sur dix. Pourtant, le grand public ignore tout de cette maladie qui, en France, impacte 6% des enfants de 8 à 17 ans. Le pire, c’est que les chiffres progressent en permanence.
La prévalence a doublé en vingt ans. En qualité de journaliste, et grâce à mes nombreux contacts dans les milieux médical et de la recherche scientifique, je me suis dit qu’il fallait lever le voile sur cette réalité. J’ai commencé mon travail six mois avant la première vague du Covid, et j’ai enquêté pendant plus de deux ans pour réaliser cet ouvrage.

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Comment vous êtes-vous documentée ? A quels spécialistes avez-vous fait appel ?

J’ai d’abord réalisé un gros travail de tri au niveau des études cliniques. Je me suis appuyée sur la littérature la plus probante sur l’obésité, aussi bien sur les déterminants, la prévention, les traitements, les pistes de recherche scientifique. Dans un second temps, j’ai interrogé des médecins chercheurs qui travaillent sur les causes de l’obésité, ainsi que les personnes les plus renommées en France et à l’international qui maîtrisent le sujet à l’instar du généticien Philippe Froguel ou Karine Clément, spécialisée dans le microbiote. Comme mon livre parle de l’obésité à tous les âges de la vie, j’aborde la question des enfants, des femmes enceintes, des seniors.
J’ai aussi interrogé des psychologues, des paramédicaux, des associations de patients et des patients, car l’obésité n’est pas seulement une affaire de médecins et de recherche. Il faut aussi donner la parole aux personnes qui en souffrent. J’ai recueilli de nombreux témoignages de patients qui racontent leur trajectoire de vie, leur vécu, les causes de leur obésité et comment ils la vivent aujourd’hui.

Pour le grand public, il est parfois difficile d’admettre que l’obésité est une véritable maladie. Pourquoi selon vous ?

L’amalgame entre « on devient gros parce qu’on mange trop » a des effets destructeurs. Je pense que la trop grande promotion des régimes, qui apparaissent comme la voie de la facilité pour maigrir, a fait des dégâts. Lorsqu’on s’astreint à un régime inapproprié, on finit par craquer et on reprend encore plus de poids qu’on a perdu. C’est le phénomène de l’effet yo-yo et c’est contre-productif. Les recherches scientifiques le démontrent : tous les régimes qui restreignent de façon trop importante les calories et évacuent certains nutriments sont délétères pour la santé. Pour être en bonne santé, l’organisme a besoin de protéines, de légumes, de féculents, de lipides. Le régime alimentaire doit être équilibré. Il faut manger un peu de tout sinon on risque des carences.

Que pensez-vous des régimes alimentaires dits restrictifs ?

Ils sont dangereux et inefficaces. Ces régimes sont standardisés. Ils sont calqués les uns sur les autres, or chaque personne en situation d’obésité possède sa propre histoire. Quand on parle d’alimentation, le nutritionniste doit personnaliser, non pas le régime, mais le rééquilibrage alimentaire après un questionnement très précis sur le mode vie, les habitudes, le niveau de stress… Ainsi, le rééquilibrage alimentaire sera individualisé contrairement au régime restrictif qui interdit certaines catégories d’aliments. D’un point de vue psychologique, s’abstenir de manger certains aliments est impossible sur la durée. Il y a un phénomène de craquage, et la littérature scientifique le démontre, on se rue sur les aliments interdits dès qu’on a l’impression d’avoir perdu un peu de poids.

Estimez-vous que notre société est confrontée à une épidémie d’obésité ?

L’obésité a doublé en France depuis vingt ans et triplé au niveau mondial.
Si je parle d’épidémie, c’est que l’obésité augmente en raison des changements de nos sociétés modernes. Aujourd’hui, tout est fait pour que les personnes prédisposées génétiquement à l’obésité développent la maladie. Par exemple, l’émergence des nouvelles technologies a modifié la dépense énergétique quotidienne. Elle a extrêmement diminué depuis la fin des années 90. On le voit bien chez les tout petits car le temps passé derrière les écrans au lieu de s’activer est plus important qu’avant. C’est l’une des causes de l’épidémie d’obésité. Le stress chronique a également beaucoup augmenté au cours de ces trente dernières années. Avant, un seul salaire pouvait suffire pour subvenir aux besoins de la famille. Aujourd’hui, la femme et l’homme doivent tous deux travailler. Cela créait des situations de stress au travail, des problèmes de burn out, de fatigue excessive. Il faut concilier vie professionnelle, vie privée, vie sociale… ce n’était pas le cas avant. L’industrie agroalimentaire a aussi sa part de responsabilité dans l’épidémie d’obésité en proposant des produits transformés. Cela contribue à l’apparition de l’obésité chez des personnes qui sont prédisposées.

Quel est votre point de vue sur l’impact de l’environnement et les perturbateurs endocriniens ?

J’aborde ce sujet dans mon ouvrage. De grandes et très sérieuses études démontrent que l’air que nous inhalons et les aliments que nous absorbons peuvent contribuer à l’obésité. L’exposition prolongée aux perturbateurs endocriniens, aux effets des polluants organiques persistants qu’on appelle les POP ou aux pesticides constitue des facteurs d’émergence de l’obésité. Des recherches réalisées sur des femmes enceintes ont prouvé que les produits polluants pouvaient avoir un impact, in utero, sur l’enfant à naître, sur son poids de naissance et son poids à l’âge adulte.

Vous écrivez que l’obésité ne peut être réduite à un problème de poids. C’est-à-dire ?

Pour beaucoup de professionnels de santé, la prise en charge de l’obésité se résume aujourd’hui à la perte de poids. Ils se focalisent sur les kilos superflus. Or, il ne faut pas parler d’obésité mais des obésités. Chaque personne en situation d’obésité possède sa propre personnalité. Les équipes médicales devraient d’abord prendre en compte la trajectoire de vie des patients et chercher les causes qui ont conduit ces personnes à l’obésité. S’agit-il de causes psychiques ? Ont-elles vécu un traumatisme dans l’enfance ? Ces personnes ont-elles souffert de dépression, ont-elles pris des médicaments qui mènent à l’obésité, ont-elles un mode de vie délétère pour leur santé ? Le médecin doit absolument se pencher sur les facteurs déclenchant de l’obésité pour que la prise en charge soit véritablement efficace. Si la cause est psychique, voire psychiatrique, l’accompagnement sur ce terrain est indispensable sinon toutes les démarches de perte de poids sont vouées à l’échec.

Estimez-vous que les professionnels de la santé ont reçu une formation suffisante pour traiter les questions d’obésité ?

Non, et c’est un constat clair et net. Le médecin traitant constitue, le plus souvent, la première porte d’entrée pour une personne en surpoids ou en situation d’obésité. Les médecins généralistes ne sont pas formés à la maladie obésité. Dans les études de médecine, il n’existe que très peu de modules spécifiques à l’obésité. Aujourd’hui, on voit apparaître des formations qui permettent de mieux appréhender les facteurs, mais par manque de temps ou de moyens, elles restent confidentielles.
Les professionnels de santé devraient pouvoir bénéficier d’une formation initiale et continue pour comprendre les ressorts de l’obésité.

L’obésité est-elle une fatalité pour les personnes qui en souffrent ?

L’obésité n’est pas une fatalité. C’est une maladie chronique dont on ne guérit pas. Il faut être très honnête et c’est la raison du titre de mon livre.
On souffre à vie d’obésité, mais c’est une maladie multifactorielle qui se soigne en fonction de sa trajectoire de vie et de sa morphologie. Lorsqu’elle est prise en charge de façon adéquate et multidisciplinaire par le médecin généraliste, un spécialiste comme un endocrinologue ou un gastro-entérologue, un psychologue, un coach sportif… alors la conjonction de ces expertises va pouvoir aider la personne en surcharge pondérale à se retrouver mieux dans sa peau. Etre bien dans son corps et dans sa tête, c’est le premier objectif.

Les personnes en situation d’obésité sont souvent victimes de stigmatisation ou de préjugés. Abordez-vous le sujet de la grossophobie dans votre ouvrage ?

Je consacre un chapitre sur la stigmatisation de l’obésité. Très souvent, la discrimination commence dès l’enfance, dans la cour de l’école. Ces paroles entendues très jeune se traduisent par le rejet du groupe alors que l’identité est en pleine construction. Cela peut avoir des conséquences désastreuses à l’âge adulte. La stigmatisation peut exister aussi en entreprise, dans la vie sociale, etc. Elle concerne toutes les tranches de la société, elle n’a pas d’âge et pas de niveau social. Au départ, la stigmatisation vient de l’extérieur, puis au fil du temps, la personne stigmatisée intériorise ce stigmate et finit par se dévaloriser. Cette étiquette qu’on lui a donnée, parfois depuis son plus jeune âge, va envahir tout son espace psychique au point qu’elle ne va plus pouvoir construire sa vie. Le secteur médical n’échappe pas à ce constat.
Des études menées au sein du milieu hospitalier démontrent que la grossophobie médicale existe parce que les médecins ne connaissent pas l’obésité et qu’ils traitent de manière inappropriée les patients.

L'obésité est-elle nécessairement synonyme de mauvaise santé ?

Pas nécessairement, du moins pas au début. L'obésité, c'est une maladie du tissu adipeux. Les cellules adipeuses, qui contiennent les graisses, sont malades. Plus on prend du poids, plus elles stockent du gras et deviennent hypertrophiques. Au-delà d'une certaine taille, l’équivalent du diamètre d'un cheveu, on estime que la cellule est devenue hypertrophique et qu'elle ne peut plus grossir davantage. Elle donne un signal hormonal à d'autres cellules pour stocker la graisse issue de l'alimentation et de nouvelles cellules se créent. Ce phénomène peut se produire jusqu'à l'infini.
Ce qui est très important également, c’est de prendre en compte toutes les comorbidités. On en compte dix-neuf aujourd’hui. Pour assurer une prise en charge efficace de l’obésité, on doit aussi rechercher toutes les maladies associées comme le diabète, l’hypertension artérielle, l’apnée du sommeil, l’insuffisance respiratoire, les douleurs articulaires, psychologiques, les cancers qui peuvent être liés… C’est en réglant tout ce qui est autour de l’obésité que la personne va réussir à perdre du poids. Aujourd’hui, on prend le problème à l’envers : on fait perdre du poids et on voit ce que cela donne. Il faut prendre en compte les causes et toutes les conséquences de l’obésité pour permettre à la personne de retrouver un poids qui est plus acceptable pour elle.

Quelles sont les orientations qu’il conviendrait de prendre pour lutter efficacement contre l’obésité ?

L’une des pistes est de prévenir l’obésité dès l’enfance. A l’école primaire, on devrait déjà réaliser des ateliers culinaires, parler d’hygiène de vie, organiser des interventions sur l’acceptation de la différence afin de lutter contre la stigmatisation. L’école a un vrai rôle à jouer d’éducation. C’est d’autant plus important que les familles favorisées sont alertées et font attention à l'alimentation de leurs enfants, en leur donnant des produits de saison, peu transformés. A contrario, les familles défavorisées ne peuvent pas habituer leurs enfants à ce mode de vie. Au-delà de la diversification alimentaire, cela crée un fossé entre les enfants de familles issues de milieux socio-économiques vraiment défavorisés et les autres. La lutte, ça passe aussi par l’information. Comme le réclament les associations de patients, il faudrait mettre en place des campagnes nationales d’information en lien avec les autorités publiques pour expliquer véritablement la maladie obésité au grand public et l’éduquer à la tolérance. L’autre piste essentielle, c’est la formation des médecins. Ils repéreront plus vite le surpoids ou l’obésité chez l’enfant et chez l’adulte, et pourront agir en amont.

La Covid-19 a particulièrement touché les personnes en situation d’obésité qui ont d’ailleurs payé un lourd tribut en termes de mortalité. Avez-vous rassemblé des données précises ?

Oui, je fournis de nombreuses données chiffrées dans le livre. Par exemple, on sait aujourd’hui que 50% des personnes admises en réanimation lors de la crise de la Covid étaient en situation d’obésité. Cette obésité n’était pas forcément massive, mais plutôt modérée. Le surpoids et l’obésité se sont révélés être un facteur d’aggravation de la Covid. Autre constatation : il existe une vraie corrélation entre la sévérité de l’obésité et la sévérité de la Covid.

Philippe Saint-Clair

Références
  • La vérité sur l’obésité, comprendre et soigner cette nouvelle épidémie, de Hélia Hakimi-Prévot, éditions Robert Laffont, 360 pages.
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