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Obésité

Anne-Sophie Joly: « Le jour où l'obésité sera reconnue comme une maladie, tout changera »

La présidente-fondatrice du Collectif national des associations d’obèses (CNAO) remettra, en septembre prochain, un rapport au ministre de la Santé qui vise à lutter contre la discrimination et à faciliter l’accès aux soins pour les personnes en situation d’obésité. Rencontre franche et éclairante avec une pionnière sacrément engagée.

6 min. temps de lecture

A quel moment de votre vie avez-vous décidé d’entrer en lutte contre l’obésité ?

Je suis une patiente qui souffre d’obésité. Au début des années 90, lorsque j’ai décidé de comprendre ma pathologie et de lutter contre à titre personnel, les médecins m’ont conseillée de manger moins et d’aller courir.
Tous m’annonçaient une vie courte. J’ai testé les régimes hypocaloriques, mais évidemment, aucun n’a marché. Vous perdez dix kilos, vous en reprenez quinze ! De consultation en consultation, un médecin, qui constatait de la souffrance chez moi, m’a envoyé chez un psychologue. J’avais 25 ans.

L’expérience a été douloureuse au départ, mais m’a fait beaucoup de bien par la suite. A cette époque, je travaillais dans la presse médicale et je me suis rendu compte d’un manque flagrant d’accompagnement des patients. De plus, les solutions médicales n’existaient pas vraiment. On assistait aux débuts de la chirurgie bariatrique avec la pose d’anneau gastrique.
Je suis entrée dans un parcours de soins dans un hôpital parisien. Un véritable parcours du combattant avec des périodes interminables pour obtenir un rendez-vous, des heures d’attente pour rencontrer le chirurgien, mais cette situation m’a permis de discuter avec d’autres patients.

On avait tous des questions, mais pas vraiment de réponses. On avait, peu ou prou, les mêmes problèmes, mais pas de retour sur nos interrogations. On nageait tous en pleine incertitude.

Et la suite ?

La suite, c’est d’abord un échec avec le premier chirurgien qui ne voulait rien me dire sur l’opération et ses conséquences. Du coup, je me suis déplacée à Lyon pour en rencontrer un autre qui, lui, a pris une heure pour tout m’expliquer sur l’avant, le pendant et après l’opération. J’ai été opérée et, à mon retour de bloc, sur mon lit d’hôpital, j’ai décidé de créer un mouvement.

Pourquoi ?

J’évoluais dans un contexte professionnel qui me permettait d’obtenir les bonnes informations. Du coup, je me suis posée la question des autres. Comment font-ils ? Que leur dit-on ? Qui les aide ? Forte de mon expérience, j’ai lancé le Collection national d’associations d’obèses en mars 2003.

Le CNAO a donc plus de vingt ans. Quel est son rôle principal ?

Nous avons, en priorité, un rôle de plaidoyer. Nous demandons la reconnaissance de l’obésité comme étant une maladie. Dès son origine, le Collectif a réclamé des recommandations de la Haute autorité de santé. Nous avons obtenu un cadrage médical pour protéger les patients et une montée en compétences du secteur médical sur cette pathologie.

Comparativement à d’autres pays, la France a progressé en matière de réflexion et de recherche sur l’obésité ; en revanche, les professionnels de santé ne sont pas formés à la problématique de l’obésité. Or, la moitié de leur patientèle est en surpoids ou en obésité. Nous sommes face à un non-sens, et c’est dangereux pour les patients. Nous sommes en perte d’efficacité, en perte de pertinence. La prise en charge manque cruellement de suivi, la déshérence des patients frôle les dix ans… et, par méconnaissance, le phénomène de la stigmatisation et de la grossophobie éloignent encore plus les patients du monde des soins.

Cela peut se transformer en véritable maltraitance, soit intrafamiliale, professionnelle ou médicale. Nous sommes une vigie permanente pour aider les autres.

Que faire pour enrayer l’épidémie d’obésité ?

En France, 17% de la population se trouve en situation d’obésité1. Au CNAO, nous réclamons un plan obésité interministériel sur dix ans basé à Matignon, à l’instar de celui déclenché pour lutter contre le cancer. Si nous voulons être efficaces, il faut que ce plan soit renouvelable, qu’il dispose de moyens financiers importants et qu’il soit accompagné d’une volonté politique au plus haut niveau afin d’œuvrer sur le terrain de la prévention et de la prise en charge de l’obésité. Il est nécessaire que la recherche scientifique soit fortement encouragée.
Dans ce cadre-là, l’obésité doit être enfin reconnue comme une maladie et décrétée ‘’Grande cause nationale’’ en 2025.

Woman speaking to doctor

L’obésité n’occupe-t-elle pas assez le devant de la scène ?

Il y a des effets d’annonce, puis plus rien. Le professeur Martine Laville a rendu son rapport intitulé "Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France" voilà plus d’un an2. Depuis, c’est silence radio.
C’est d’autant plus grave que l’obésité est une maladie plurifactorielle qui entraîne 18 pathologies associées, auxquelles il convient d’ajouter le Covid. Anticiper, réagir face à cette maladie, c’est donc prévenir toutes ces pathologies qui, pour la plupart, sont chroniques3.

Soigner l’obésité, c’est soigner les maladies cardiométaboliques, l’hypertension artérielle, le diabète, les problèmes de rhumatologie, l’infertilité chez l’homme et la femme, certains cancers… Il faut agir, et vite.

D’autant que le Covid a laissé des traces…



Absolument. Nous avons tous vu les dégâts que la pandémie a occasionnés sur les populations en situation d’obésité. Diverses cohortes nationales et internationales ont montré que 47% des patients en réanimation étaient en situation d’obésité4 et que 40% des décès concernaient les personnes en situation d’obésité5. On ne peut pas rester inactif face à ce risque permanent.


Comment arriver à se faire entendre par les autorités ?



Il faut mettre la pression. Le CNAO a fait durer la Journée mondiale de lutte contre l’obésité du 4 mars pendant une semaine. Durant cette période, nous avons réalisé une campagne d’affichage sur la discrimination avec, comme slogan, « Ce qui me pèse le plus, c’est le poids de vos mots ». Ces trois affiches étaient, chacune, accompagnée d’un testimonial. Cette campagne a été visible pendant dix jours dans les stations de métro, de RER et dans les gares des grandes villes de province.

Grâce à notre partenariat avec l’Arcom, nous avons aussi diffusé gratuitement un spot publicitaire sur les 25 chaînes de la TNT6. Auparavant, entre fin janvier et début mars, un spot de vingt secondes soulignant le rôle du CNAO et celui des associations qui accompagnent les patients, a été projeté toutes les deux minutes trente sur 550 écrans de pharmacie.


C’est également la période que vous avez choisie pour publier votre livre…



Tout à fait, j’ai co-écrit « Je n’ai pas choisi d’être grosse »7 avec le journaliste télé Richard Zarzavatdjian. C’est un manifeste qui met le doigt sur la discrimination dans le milieu scolaire, la vie professionnelle et privée, la prise en charge médicale et dans les représentations. Outre de nombreux témoignages de personnalités médiatiques, c’était aussi l’occasion d’amorcer des pistes de solutions à grande échelle.
Le livre a eu beaucoup d’impact. En dix jours, nous avons eu plus de 3 200 séquences médias et plus de 1 600 retombées médias. A travers toutes ces prises de parole, l’idée est double : expliquer au public que l’obésité n’est pas un choix de vie car nous ne sommes pas tous égaux métaboliquement parlant et faire entendre notre voix dans les médias afin qu’ils jouent leur drôle de relais auprès des politiques.

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Système métrique Système britannique
Système métrique / Système britannique

Comment convaincre le gouvernement d’agir contre la grossophobie?



Depuis près de deux ans, le CNAO a été mandaté par la Direction générale de la santé et le PNNS (Programme national nutrition santé) pour piloter un groupe de travail qui remettra un rapport au ministre de la Santé à mi-septembre. Nous élaborons des propositions concrètes pour lutter contre la discrimination, pour aider la population à poser un regard bienveillant sur l’obésité et pour permettre aux personnes en situation d’obésité d’accéder plus facilement aux soins. Nous avons auditionné de nombreuses personnes, récolté beaucoup de témoignages.

On se rend compte que la discrimination à l’obésité est l’acte à la fois le plus répandu dans le monde et le plus toléré. Injurier une personne en raison de sa différence de couleur ou de religion est un délit punissable par la loi. En revanche, insulter une personne en raison de son poids, ne pas l’embaucher en raison de sa morphologie, c’est toujours admis8.
Ce n’est plus acceptable ! A l’évidence, la population mésestime énormément l’impact de la stigmatisation sur le bien-être psychologique. On demande donc un cadrage juridique qui va nécessiter du courage politique.


Comment faire comprendre au plus grand nombre que l’obésité est une pathologie ?

Je le redis, le jour où l’obésité sera reconnue comme une maladie, tout changera. Cette reconnaissance provoquera un facteur déclenchant, car, dans sa grande majorité, la population ignore tout de cette pathologie dont les sources multifactorielles reposent sur l’alimentation, les perturbateurs endocriniens, la pollution, l’épigénétique, etc.9 Il faut aussi expliquer pourquoi les traumas de la vie, un mal-être, une séparation, la maltraitance… provoquent des conséquences inattendues sur le corps.10 Qui, dans le grand public, sait que face à ces situations douloureuses, le cerveau se met en sécurité et, de manière inconsciente, réclame des compensations et a besoin de messages positifs ? Peu de gens, sans doute. Et pourtant, cela peut conduire à des addictions à l’alcool, à la drogue, aux jeux ou au sucré.


Vous êtes particulièrement sensible à l’éducation des jeunes générations. Comment leur inculquer la bienveillance et le respect des personnes en situation d’obésité ?



Cela fait partie des recommandations qui seront soumises au ministre de la Santé. Des enfants sont victimes de harcèlement en raison de leur poids.
Ils vivent avec des troubles alimentaires, se déscolarisent, peuvent aller jusqu’à la tentative de suicide parce qu’ils n’en peuvent plus. On doit les protéger. Au CNAO, nous estimons qu’il faut agir dès la crèche et oeuvrer tout au long de la scolarité, jusqu’aux études supérieures. Les enseignants, le personnel et l’ensemble du monde éducatif doivent être formés pour transmettre les valeurs de la tolérance et de l’acceptation de l’autre.

L’Etat a décidé de mettre en place des cours d’empathie, c’est un premier pas, mais il faut aussi sensibiliser les parents qui sont souvent les premiers à être cassants et stigmatisants. Parallèlement, les jeunes générations doivent être éduquées aux conséquences de la production alimentaire, à sa transformation industrielle et l’impact du marketing. Pas question d’interdire certains produits, cela ne servira à rien. En revanche, il faut expliquer les effets sur la santé à court et moyen terme, oser parler des quantités et dire clairement que le corps a besoin de certains produits pour bien fonctionner. L’information et la transparence constituent les clés du bon message envoyé aux plus jeunes.

Revenons à vous. Comment vivez-vous votre obésité aujourd’hui ?



Bien, très bien même, j’ai repris les rênes !

A force d’être moquée, rabaissée, écartée de l’espace de vie du quotidien des gens, j’ai décidé de réagir. Par leurs mots blessants, par leur regard inquisiteur, par leur mépris permanent, j’avais le sentiment que certaines personnes m’interdisaient de vivre. En fait, leur méchanceté me vampirisait.
J’ai donc fait des choix et j’ai repris ma vie en main ! A partir de ce moment-là, je me suis dit ‘’Tu ne baisseras plus la tête’’, ‘’Tu ne regarderas plus tes pieds’’.

Les personnes en situation d’obésité ne doivent pas se voir, et encore moins se juger, à travers le regard discriminant des autres. Je me suis séparée de tous ceux qui m’adressaient des injonctions et me disaient quoi faire ou comment vivre, et j’ai gardé auprès de moi les plus bienveillants, les personnes qui montraient un authentique intérêt humain et respectueux pour qui je suis.

Aujourd’hui, je regarde droit devant, et je bataille pour, et au nom de ceux qui en ont le plus besoin.

Propos recueillis par Philippe Saint-Clair

Références
  1. https://www.mdpi.com/2077-0383/12/3/925
  2. https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_laville.pdf
  3. https://www.vie-publique.fr/en-bref/289322-obesite-en-france-un-enjeu-de-sante-publique
  4. https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/obesite/article/obesite-et-covid-19
  5. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1957255721000614?via%3Dihub
  6.  https://www.arcom.fr/actualites/ce-qui-me-pese-le-plus-cest-le-poids-de-vos-mots-larcom-partenaire-des-journees-mondiales-contre-lobesite
  7. « Je n’ai pas choisi d’être grosse » - Le livre manifeste pour en finir avec la discrimination, 190 pages, éditions Solar. 18,90 €
  8.  https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2023-10/ddd-OIT_etude_09e-barometre-discriminations-emploi_20160201.pdf
  9. https://www.inserm.fr/dossier/obesite/
  10. https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2018-5-page-841.htm
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