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Prise en charge de l’obésité : du sachant-soignant au patient-apprenant


En développant à Dijon un outil digital d’éducation thérapeutique innovant, le docteur Cyril Gauthier aide le patient en situation d’obésité à comprendre sa pathologie et à devenir acteur de sa propre santé.

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Woman speaking to doctor

Comment les personnes en situation d’obésité sont-elles accompagnées dans votre région ?

En Bourgogne-Franche-Comté, nous sommes dans une région plutôt bien structurée en termes de parcours de soins de l’obésité pour l’adulte et l’enfant. Nous possédons un réseau de villes efficace avec des médecins traitant qui s’intéressent à l’obésité, nous disposons d’un panel de médecins nutritionnistes, d’endocrinologues, d’un bon réseau de diététiciennes et psychologues, d’un réseau sport santé. Cet ensemble de professionnels de santé est associé à un comité stratégique piloté par notre Agence régionale de santé (ARS).

 

Comment s’organise la prise en charge de l’obésité ?

La prise en charge de l’obésité est graduée. Au niveau du 1er recours, cette prise en charge s’appuie sur des programmes d’accompagnement de l’obésité. Il s’agit de repérage, de diagnostic, d’orientation et de suivi réalisés par des professionnels de santé de proximité. En cas de difficulté ou d’obésité trop sévère, le patient peut être dirigé vers une prise en charge de 2e recours. Les soins sont dispensés en ville ou au sein d’établissements de santé qui vont assurer la prise en charge médicale en lien avec les établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR). Dans la région, les patients peuvent être dirigés vers Dijon, Châtenoy-le-Royal et Pont-d’Héry. Ces SSR organisent des séjours de trois à quatre semaines avec des programmes d’éducation thérapeutique. Cela permet une rupture avec le milieu habituel afin de travailler sur ce que le patient peut mettre en place lorsqu’il retourne chez lui. Enfin, la région Bourgogne-Franche-Comté gère aussi le 3e recours avec les Centres spécialisés obésité (CSO) au CHU de Dijon et à Besançon. L’essentiel, c’est la cohérence de la prise en charge entre les divers recours.

Pourquoi avoir créé une structure comme l’Espace médical nutrition et obésité (EMNO) ?

Nous avons pris le parti de créer l’EMNO en 2017 à Dijon qui est devenu une expérimentation Article 51 en 2019. Cela signifie que ce projet expérimental est soutenu par le ministère de la Santé, la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) et les Agences régionales de santé (ARS) afin d’innover en matière de parcours de soins. C’est une structure hybride entre de l'hospitalisation de jour et du libéral. L’objectif de l’EMNO est de créer un pont entre le 1er recours et les structures hospitalières pour les cas les plus complexes ou qui nécessitent des hospitalisations plus longues. L’EMNO est un intermédiaire qui permet une continuité de soins et de l’accompagnement des personnes en situation d’obésité, aussi bien à la sortie des hospitalisations que dans le cadre de la chirurgie de l’obésité. Le premier objectif de l’EMNO est de créer un parcours de soin en fonction d’une gradation d’intensité de prise en charge qui tient compte de la personne et pas seulement de la pathologie. L’autre idée est d'anticiper les futures forfaitisations des parcours de soins des maladies chroniques avec des équipes pluridisciplinaires constituées de médecins, diététiciens, psychologues et infirmières en éducation thérapeutique. Ce parcours de soins est désormais forfaitisé à l’année. Nous ne sommes plus sur un système à l’acte. Enfin, en 2018, nous avons rajouté au dispositif un outil d’éducation thérapeutique digital, la plateforme Nuvee. C’est le bras digital des programmes d’éducation thérapeutique. Ces parcours sont opérationnels depuis septembre 2019. Ils concernent l’obésité et la nutrition, la chirurgie bariatrique et le diabète type 2 avec un axe de prévention et un axe thérapeutique accessible gratuitement au grand public.

Comment s’est nouée l’idée de mettre en place l’éducation thérapeutique à l’aide d’outils numériques ?

Mon expérience au sein de la clinique du Châlonnais, en Saône-et-Loire, m’a éclairé sur deux axes de développement du parcours de soins de l’obésité. Même si la prise en charge au sein de la clinique fonctionnait bien, puisque de 14 lits d’hospitalisation nous sommes passés à un projet de 102 lits pour adultes et enfants et pour tout séjour, j’ai constaté l’inégalité aux soins géographiques. Certains patients venaient de très loin et cela compliquait le suivi.

 

Quelles ont été les étapes de cette « révolution digitale » ?

Depuis 2015, nous cherchions des outils qui permettaient de sortir l’éducation thérapeutique des murs des établissements. Comme je viens de vous le dire, il existe une inégalité d’accès aux soins via les effets centres et une difficulté dans la poursuite du parcours d’éducation thérapeutique quand les patients ne se situent pas dans le cadre de la prise en charge. On a d’abord testé avec des sites standards, ainsi qu’avec des groupes Facebook. On a regardé comment le digital pouvait nous aider à optimiser le parcours de prise en charge et le faire perdurer. Nous avions des outils de e-parcours. Ils permettent de digitaliser le présentiel, de tracer les consultations, d’organiser la visio, mais il ne s’agissait pas d’un véritable outil d’éducation thérapeutique. Pour aller plus loin, on a donc réfléchi et, en 2018, on a créé l’Espace pédagogique en santé dématérialisation (EPSD) qui porte l’outil d’éducation thérapeutique. C’est devenu Nuvee. Pour le rendre efficace, nous avons travaillé avec l’Agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comté sur la conception d’un outil métier de e-parcours afin d’allier prise en charge présentielle et outil digital.

 

Comment la personne en situation d’obésité accède-t-elle à cet outil numérique ?

Pour accéder à cette plate-forme numérique, la personne doit d’abord faire une démarche de prise en charge de l’obésité auprès de son médecin traitant, d’une diététicienne, d’un médecin spécialiste ou de l’équipe soignante qui la suit. Une fois que le parcours de soins est entamé, le patient rencontre l’équipe soignante qui réalise un bilan éducatif personnalisé. On appelle cette étape le profilage. Cela permet d’évaluer ce que la personne va devoir acquérir comme connaissance et compétences, les leviers, les freins. Forts de ces éléments, nous pouvons lui proposer, en plus du parcours présentiel, le parcours digital d’éducation thérapeutique.

 

Sur un plan pratique, quel rôle le patient joue-t-il sur cette plateforme ?

Le patient ne subit plus la démarche thérapeutique. Au contraire, il s‘inscrit dans la démarche thérapeutique qu’il s’approprie progressivement. Dans le cadre du programme d’éducation thérapeutique, le patient reçoit ses codes d’accès pour lui, mais aussi pour son entourage, car l’accompagnement des proches est capital. Ensuite, un parcours pédagogique avec des ateliers est établi. On est calqué sur le principe des Mooc (Massive open online course), ces petites vidéos interactives qui permettent de conserver l’attention de l’utilisateur. Le système dispose d’un processus d’évaluation avec des quiz, des espaces de gamification, on débloque des cartes en fonction de l’évolution dans le parcours… Ainsi, le patient suit un parcours d’ateliers au cours desquels il va, par exemple, comprendre sa pathologie, apprendre à déculpabiliser, mieux saisir la notion du parcours de soins…

Le patient devient-il un acteur engagé de son parcours de soins ?

Tout à fait. On lui transmet de l’information et de la connaissance habituellement réservée aux professionnels de santé afin qu’il soit le mieux informé et le plus compétent possible sur sa pathologie et sa démarche thérapeutique. On a greffé à ce process une communauté pédagogique où les utilisateurs peuvent échanger entre eux. C’est une communauté de pairs qui s’appuie sur des patients ressources et des patients experts qui assurent l’animation et partagent leur expertise. Deux infirmières en éducation thérapeutique gèrent la modération des échanges. L’autre intérêt de ces programmes d’éducation thérapeutique plébiscités par tout le monde, c’est le gain de temps. Le patient se connecte seul et progresse dans son parcours d’éducation thérapeutique sans que cela ne nécessite d’importantes ressources humaines. Plutôt que de faire de la transmission descendante classique, l’outil permet au patient d’acquérir des notions. Lors des rendez-vous en présentiel, cela permet à l’équipe soignante de rebondir plutôt sur les points du parcours que le patient a mal compris.

 

Abordez-vous tous les sujets liés de près ou de loin à l’obésité ?

Bien sûr. Quand je voyais des patients et que je leur expliquais les problématiques de régulation de la leptine, de restriction cognitive des régimes ou l’hypoglycémie réactionnelle des by-pass gastriques, je voyais bien qu’ils ne comprenaient pas. De plus, cela me prenait énormément de temps d’expliquer. Avec ces outils, même s’ils n’ont pas tout compris, ils se sont familiarisés avec le langage, déjà fait des ateliers et ont été évalués. 
Du coup, avec eux, nous sommes déjà dans une deuxième phase, celle de la reformulation. L’outil digital permet de donner au patient l’ensemble des connaissances qui permettent au patient de devenir acteur de sa santé, de comprendre sa pathologie et sa thérapeutique.

 

Quel est le contenu des ateliers ?

Nous avons 53 ateliers consacrés à l’obésité. On y apprend, par exemple, ce qu’est l’obésité, que l’IMC n’est pas forcément un bon critère, que le poids n’est pas un élément de jugement fiable, que l’obésité est une maladie qui touche la sphère physique, mentale et sociale, etc. Les vidéos expliquent aussi que l’obésité est une maladie chronique et que le patient peut vivre des rechutes, mais que les rechutes ne sont pas des échecs. Des ateliers sont consacrés aux régimes restrictifs qui ne fonctionnent jamais et on explique pourquoi avec la régulation de la leptine. On parvient à leur faire comprendre des notions très complexes. On leur explique ce qui relève de la diététique, de l’équilibre et du comportement alimentaire, pourquoi l’alimentation vient parfois gérer les émotions. Des ateliers évoquent la différence entre activité physique et activité sportive, pourquoi lutter contre la sédentarité, pourquoi l’obésité est un facteur de risque de nombreuses autres pathologies… C’est un programme très vaste, mais une fois que le patient a intégré ces données, il revient vers nous en nous disant « J’ai compris ». En fait, il a enfin compris, par exemple, pourquoi les régimes qu’il avait entrepris ne fonctionnaient pas ; il a compris qu’il souffrait d’une maladie chronique ; compris aussi qu’il avait besoin d’un accompagnement pour l’aider, car il ne s’agit pas simplement de changer l’alimentation, mais de changer le comportement.

 

Comment se déroule l’évaluation ?

La partie présentielle avec le verbal et le non-verbal est primordiale. 
Si la plateforme peut nous apporter beaucoup d’informations, l’échange avec le patient constitue la base de la relation. Sur la plateforme, nous avons des outils d’évaluation comme, par exemple, des données de vie réelle. Par le biais de petits curseurs ou de cartes interactives, on va savoir comment le patient perçoit sa santé morale ou physique au moment où il se connecte. Il existe aussi un process d’évaluation du parcours pédagogique, des connaissances et des compétences. Cela passe par des petits quiz avant et après les ateliers. Cela permet au patient de voir sa propre progression. A terme, la plateforme sera aussi dotée d’un processus de valorisation en fonction du temps passé et du nombre de commentaires laissés par le patient. Des cartes interactives se débloquent au fur et à mesure de la progression du patient. Ces cartes sont des petits questionnaires « vrai-faux » ou des outils pratiques qui permettent au patient de savoir ce qu’il a appris et ce qui va lui permettre de changer dans sa vie de tous les jours. Grâce à l’interface de la plateforme, le professionnel de santé va pouvoir suivre l’évolution du patient dans son parcours, repéré les ateliers acquis et ceux qui ne le sont pas. Cela permet de cibler rapidement la connaissance qui n’a pas été acquise. 

Combien de temps dure le parcours de soins ?

Lorsque le compte du patient est créé, c’est un compte à vie. Ce compte est aussi accessible pour l’entourage, car cette dimension d’accompagnement est très importante pour l’amélioration de la santé du patient. Quand le patient a terminé le parcours, il reçoit une attestation de fin de parcours. Si au cours de sa vie, il connaît des changements, il peut revenir sur les ateliers qui l’intéresse. Très souvent, les patients suivent les ateliers plusieurs fois, ce qui leur permet d’ailleurs d’intégrer la communauté des pairs pour aider les autres patients. Un patient qui a achevé son parcours devient un patient ressources qui a acquis des notions et une expertise.

 

Combien de temps les patients consacrent-ils aux ateliers ?

La plateforme Nuvee propose trois parcours : Nutrition et Surpoids, chirurgie bariatique et diabète de type 2. Pour un parcours obésité, le patient suit une cinquantaine d’ateliers sur six mois. Certains vont accomplir le parcours en trois semaines, d’autres en un an ou dix-huit mois. Pour un parcours type diabète, le rythme est environ d’une trentaine d’ateliers. En règle générale, trois mois et demi sont nécessaires.

 

Durant le parcours d’éducation thérapeutique, combien de fois rencontrez-vous le patient ?

Cela dépend des profils et de l’intensité de la prise en charge. Par exemple, des profils qui n’ont pas de troubles du comportement alimentaire, dont l’obésité n’est pas sévère et qui n’ont pas multiplié les régimes, nous les voyons trois à quatre fois au cours de la première année, ensuite deux fois par an. Pour les profils plus compliqués, l’équipe pluridisciplinaire, constituée de médecin, diététicienne, infirmière et psychologue, organise des rencontres tous les deux mois.

 

Quel est l’avenir de Nuvee ?

Après les parcours obésité, chirurgie bariatrique et diabète de type 2, on développe désormais un autre parcours « Nutrition et maternité ». Aujourd’hui, notre outil, initialement conçu pour la formation des patients, permet aussi de pratiquer la mise à niveau de connaissances pour les infirmières Azalée (Action de santé libérale en équipe) et pour les professionnels de santé du 1er et 2e recours d’un centre intégré de l’obésité. L’idée est de ne pas mettre de filtre dans la connaissance afin de rapprocher le patient du professionnel de santé. On permet ainsi de rapprocher le « soignant sachant » du « patient apprenant ». Si le praticien et le patient parlent le même langage, alors l’alliance thérapeutique est améliorée.

 

Philippe Saint-Clair

 

 


Docteur Cyril Gauthier, un spécialiste des filières nutrition, obésité et chirurgie de l’obésité

 

Après des études en médecine, puis un internat en nutrition à Paris, le docteur Cyril Gauthier revient en 2012 en région Bourgogne-Franche-Comté. Il crée une structure de prise en charge de l’obésité au sein de la clinique du Châlonnais et l’Espace médical nutrition obésité Dijon Valmy et devient référent du groupe Ramsay Santé pour structurer les filières nutrition, obésité et chirurgie de l’obésité jusqu’en 2020.
Depuis 2016, le docteur Gauthier copilote le comité stratégique du parcours nutrition santé de l’Agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comté. Expert à la Haute autorité de santé (HAS) dans le groupe de travail sur le guide parcours obésité, il est porteur du projet en santé EMNO au titre de l’expérimentation article 51 et cofondateur en 2018 de la société Nuvee spécialisée dans le parcours d’éducation thérapeutique numérique.

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