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« Dans le désir de plaire, on cherche à donner le meilleur de soi »

Sexologue à Montpellier, Muriel Baccigalupo rencontre très régulièrement des personnes en situation d’obésité en proie à des difficultés sexuelles. Elle écoute et déculpabilise ses patients. Elle anime aussi des ateliers sur la plateforme Fabriktasanté sur les maladies chroniques et la santé sexuelle.

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Woman speaking to doctor

La sexualité est-elle encore un sujet tabou en cas de surpoids important ou d’obésité ?

La sexualité reste un sujet tabou. Qu’on en parle par le prisme de l’obésité ou par n’importe quel autre angle, ce sujet n’est pas abordé de façon simple et naturelle, et ce, malgré le fait que les médias traitent énormément le sujet. Quand il s’agit de parler de soi, de parler intimement, de recueillir des informations sur le domaine précis de la sexualité ou de pouvoir en donner de manière très sérieuse, alors l’exercice devient compliqué. Je le vois à travers les consultations. Certaines personnes peuvent parfois mettre plusieurs années pour franchir le cap et oser se livrer. Récemment, j’ai rencontré un patient qui souffre d’éjaculation rapide depuis vingt ans, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’il parvient à s’exprimer sur le sujet. Discuter ouvertement de santé sexuelle, évoquer librement sa propre sexualité reste une démarche difficile. Et ce frein, ou cette gêne selon les personnes, on les constate partout. Aussi bien chez les patients qui n’ont pas de souci de santé, que chez les patients atteints de maladies chroniques comme l’obésité ou l’hypertension. La santé sexuelle reste aussi tabou parmi les professionnels de santé. D’où l’importance du rôle des sexologues qui aident à briser le silence.

Consulter un sexologue n’est pourtant pas le premier réflexe…

C’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que tous les patients que je rencontre dans le cadre de mon activité professionnelle sont en demande. Ils souhaitent échanger simplement et correctement sur le sujet de la sexualité. Le premier réflexe est souvent d’en parler à son médecin traitant ou à un psychologue. Le problème, c’est que les professionnels de santé ne sont pas véritablement formés à la question de la sexualité. De plus, ils craignent d’être intrusifs s’ils lancent le sujet et, s’ils sont questionnés, redoutent de ne pas être en mesure de prendre en charge cette difficulté ou de savoir vers qui orienter leurs patients. Mais les choses bougent, les sollicitations sont de plus en plus fréquentes. J’interviens, par exemple, de plus en plus en rhumatologie, en gastro-entérologie, en obésité et en hématologie. Je suis également consultée en gestion de la douleur avec, comme ancrage central, pourquoi parler de la sexualité, comment en parler et quand en parler. Même s’il y a encore du chemin à parcourir, la parole est en train de se libérer…

Les patients vous consultent-ils parce qu’ils sont en situation d’obésité ou parce qu’ils sont confrontés à une problématique sexuelle ?

Les patients qui frappent à ma porte ne viennent pas parce qu’ils sont en situation d’obésité. Ils viennent voir une sexologue car ils sont confrontés à une difficulté sexuelle. De mon côté, je regarde tous les freins qui affectent leur sexualité et, si la personne est en situation d’obésité, alors on aborde le sujet. De la même manière, si je rencontre une personne qui est atteinte de la maladie de Crohn et qui est suivi en gastro-entérologie, on parle de sa pathologie.

L’obésité complique-t-elle la vie affective ?

Comme bon nombre de maladies chroniques, l’obésité peut perturber, voire inhiber la fonction sexuelle. Chez les hommes, on peut remarquer, d’un point de vue physiologique, un risque de déficit en testostérone pouvant entraîner une perte de libido. La personne peut rencontrer des difficultés érectiles en raison, par exemple, de problèmes cardiovasculaires associés au surpoids. Cela peut empêcher la bonne irrigation de la verge et, par voie de conséquence, altérer la capacité excitatoire et orgastique. Le fait d’avoir une masse graisseuse importante au niveau du pubis et des tissus adipeux peut entraîner une rétraction de la verge qui, mécaniquement, peut rendre compliqué l’acte de pénétration. De même, la masse graisseuse peut venir parasiter les gestes et les positions au cours de l’acte sexuel. (1) (2)

Et chez les femmes, quels sont les principaux problèmes rencontrés ?

L’obésité peut entraîner des déséquilibres hormonaux avec perte de libido. (3) Elles peuvent souffrir de sécheresse vaginale. Cela peut aussi être lié à des comorbidités comme, par exemple, le diabète. Les femmes peuvent connaître des douleurs à la pénétration à cause d’un manque de lubrification. Cela peut entraîner des difficultés orgastiques. (4)

Rencontrez-vous des personnes en situation d’obésité qui souffrent de difficultés physiques et/ou psychologiques ?

La réalité, c’est que les gens atteints de maladies chroniques connaissent de deux à six fois plus de difficultés sexuelles que la population générale (5) Quand j’échange avec mes patientes, elles admettent plus facilement que les hommes avoir des difficultés sur le plan sexuel. Il semble plus difficile pour les messieurs de parler de leur sexualité. Dans les ateliers que j’anime, comme par exemple avec Fabriktasanté, seules les femmes s’y sont, pour le moment, inscrites. L’une des questions qui revient souvent concerne les positions les mieux adaptées aux personnes en surpoids ou en obésité. Je suis aussi interrogée sur les éventuelles modifications des organes génitaux en raison du poids. A l’évidence, ces questionnements démontrent le besoin d’en parler, de comprendre et de trouver des solutions pour aller vers une sexualité mieux épanouie. (6)

Comment parvenez-vous à dédramatiser le sujet face aux patients ?

Je communique très facilement, très simplement, très librement avec les gens concernant le sujet de la sexualité. Du coup, je pense que cela les autorise à en faire autant. Lors des ateliers, les échanges sont sincères. On y aborde de nombreux sujets tels que les positions, les répercussions physiologiques et psychologiques, l’imaginaire érotique, les différences sexuelles entre homme et femme, etc. Je n’ai pas toutes les réponses et les personnes qui y participent amènent elles-mêmes beaucoup d’informations. Quand on parle des positions sexuelles, elles ne sont pas adaptables à tout le monde. Selon où se trouve la matière graisseuse d’une personne et la physionomie du partenaire, on peut trouver des positions qui donnent une liberté de mouvement et du plaisir. Au niveau du langage, je m’assure que les participants ont bien compris en utilisant un vocabulaire simple et adapté.

La dictature de la minceur pousse-t-elle les personnes en situation d’obésité à éviter, voire s’abstenir d’avoir des relations sexuelles ?

Absolument. Ce qui revient souvent dans le discours des personnes en situation d’obésité, c’est de ne pas se sentir désirable. L’altération de l’image corporelle et la perte de l’estime de soi constituent des freins. La question de savoir comment se sentir désirable et sensuelle, même si notre corps ne nous plaît pas, est très fréquente. Pour contrer cet argument, on peut prendre l’exemple des artistes qui préfèrent dessiner ou peindre des personnes avec des formes et des rondeurs plutôt que de représenter des silhouettes filiformes.

Peut-on être attirant autrement que par sa seule silhouette ?

Bien sûr, une personne est désirable par bien d’autres facteurs que la seule silhouette. On peut être attirant par le charme, le charisme, la joie de vivre qui se dégage, la façon de se mouvoir, la sensualité, la façon de parler, de s’exprimer, le timbre de sa voix… En consultation, les messieurs me disent souvent que ce qui est excitant pour eux, c’est une femme qui aime jouir au sens large. Jouir de la vie et dans la sexualité.

Trop de kilos rime-t-il avec baisse de la libido ?

Il faut savoir si on parle de libido ou de désir. Il ne faut pas faire de confusion car l’un peut engendrer l’autre. Lorsqu’il y a un déficit hormonal avec une baisse de la libido biologique. La recherche de sensation, même si on l’active au niveau psychique, aura plus de mal à s’éveiller. Le désir, c’est autre chose. Le désir, ça se crée, ça se réveille… Il faut agir sur les stimulants au désir. Cela peut être l’amour, la passion, l’attrait physique, l’attrait vestimentaire, les odeurs, les gestes, les caresses, les baisers, les mots échangés, les pensées érotiques, les souvenirs d’une situation sexuelle excitante et le plaisir qu’on a pu y prendre. Les stimulants au désir peuvent provenir d’une lecture érotique ou d’une scène dans un film. Le critère physique n’est donc pas le seul à provoquer du désir.

Quels conseils donnez-vous à vos patients pour se mettre dans cette situation psychologique ?

Je dis aux patients qu’il faut qu’ils apprennent à connoter érotiquement les situations du quotidien. Cela signifie qu’ils doivent poser une lecture érotique sur une situation. Par exemple, le partenaire sent bon, la personne a envie de mettre son nez dans son cou, de sentir le contact de son corps, de sentir ses caresses… Dans ce cas, ce n’est pas juste une appréciation olfactive basique, cette situation devient connotée érotiquement et génératrice de l’éveil du désir.

L’obésité va souvent de pair avec une perte d’estime de soi. Agissez- vous sur ce levier psychologique ?

En sexologie, comme en psychologie, on essaie de travailler afin que les personnes apprennent à s’aimer. S’aimer aussi avec ce qui ne nous plaît pas sur nous ou en nous. Il ne faut pas se réduire à des critères physiques. Il faut plutôt prendre conscience que l’être constitue un ensemble, avec son corps et son esprit.

Le désir sexuel peut-il être une motivation pour tenter de perdre du poids ?

Oui, bien sûr. Dans le désir de plaire, on cherche à donner le meilleur de soi. On va, par exemple, faire beaucoup plus attention à la façon de s’habiller, à sentir bon, à être propre, à se montrer sous les meilleurs traits de son caractère. La phase de séduction et de conquête peut être un moteur à la perte de poids. A contrario, l’installation dans une vie de couple peut avoir l’effet inverse. On est bien ensemble, on se laisse porter par son bonheur, on sort au restaurant, on prend quelques kilos, on est moins dans la séduction, on se laisse un peu aller et le désir sexuel peut s’amenuiser. C’est un discours que j’entends assez souvent.

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Le mouvement bodypositive enseigne que l’attirance prend de nombreuses formes, y compris celle du plaisir des rondeurs. Qu’en pensez-vous ?

Moi, je suis dans la recherche permanente du juste équilibre. Si je pense que la rondeur peut être très belle, très érotique, très généreuse, sensuelle, et même protectrice, on ne peut pas nier que l’obésité est un risque pour la santé. D’un côté, je trouve qu’il est nécessaire de faire bouger les schémas et revendiquer son corps pour faire reculer la grossophobie, mais pour autant, je n’aime pas les excès et je pense qu’il est préférable d’éviter les débats violents. D’ailleurs, ce point de vue est aussi valable sur la question du vieillissement. A en croire le discours ambiant, il n’y aurait que les jeunes et beaux qui auraient le droit de faire l’amour. Les personnes vieillissantes ont également droit au sexe, au désir ou à l’érotisme. Il faut savoir rester mesuré, équilibré.

Utilisez-vous des méthodes de soins particulières ? Et, si oui, lesquelles ?

J’utilise plusieurs méthodes, et notamment la technique des mouvements oculaires, appelée EMDR (7). C’est une méthode de psychothérapie qui consiste à traiter des mémoires douloureuses à l'aide, notamment, de mouvements des yeux. Elle permet d’aborder les séquelles post-traumatiques qui ont pu participer, dans l’historique de vie des personnes qui consultent, à développer l’obésité. Soit pour se protéger d’une agression vécue ou d’un sentiment d’abandon, soit à la suite de traumas sexuels, de traumas familiaux, affectifs ou émotionnels. Je vais me servir de cette méthode pour activer des mécanismes de réparation et ouvrir des portes au plan psychologique. J’utilise également l’hypnose qui permet de se projeter dans une situation érotique, avec des sensations de plaisir que l’on peut ressentir dans son corps, en ayant confiance en soi. On peut aussi faire appel aux thérapies conjugales avec l’approche systémique, aux sexothérapies comportementales, à la sexoanalyse qui permet d’identifier les causes psychologiques de fond qui sont à l’origine des dérèglements sexuels. L’éducation sexuelle, quant à elle, fait partie de toutes nos interventions en santé sexuelle.

Préférez-vous rencontrer les patients seuls ou en couple ?

Je n’ai pas de préférence. Je travaille au cas par cas, en fonction des besoins liés à la problématique. Je vois deux tiers de ma patientèle en individuel, l’autre tiers en couple. Certaines problématiques sont plus facilement abordées en individuel, notamment lorsqu’il s’agit de personnes ayant des difficultés au fil de leur vie avec différents partenaires. D’autres problématiques relèvent de la dynamique du couple, et on ne peut alors améliorer la situation, que si le couple accepte de parler et de se remettre en question.

Combien de temps, en moyenne, dure le protocole que vous mettez en place pour aider les personnes en situation d’obésité ?

Cela est très variable. Il y a des gens que je ne verrai qu’une fois, d’autres trois fois, d’autres dix fois… Je peux rencontrer des patients une seule fois, car finalement, une seule séance suffit pour aborder et résoudre la problématique qu’ils rencontrent dans leur santé sexuelle. A contrario, certains patients ont besoin de temps avant de se sentir en confiance, de se livrer véritablement. En règle générale, on parvient à débloquer la situation à court ou moyen terme.

 

Philippe Saint-Clair

Références

(1) Dr K. Nejmed-Dine, Dr S. Rafi, Pr G. El Mghari, Pr N. El Ansari. Obésité et vie sexuelle. Annales d'Endocrinologie, Volume 78, Issue 4, September 2017.

(2) Ilaria Lucca, Laurent Vaucher, François Pralong, Darius A. Paduch. Troubles sexuels masculins et obésité. Revue Médicale Suisse. 365 Urologie. Décembre 2012.

(3) Andréa Poyastro Pinheiro MD, PhD, T.J. Raney PhD, Laura M. Thornton PhD, Manfred M. Fichter MD, Wade H. Berrettini MD, David Goldman MD, Katherine A. Halmi MD, Allan S. Kaplan MD, Michael Strober PhD, Janet Treasure MD, D. Blake Woodside MD, Walter H. Kaye MD, Cynthia M. Bulik PhD. Sexual functioning in women with eating disorder. International Journal of Eating Disorders. Volume 43, Issue 2. March 2010.

(4) Dr H. Marzouk, Dr I. Kharrat, Dr W. Debbabi, Dr S. Chermiti. Obésité et dysfonction sexuelle. Annales d'Endocrinologie
Volume 84, Issue 1, February 2023.

(5) M.-H. Colson. Dysfonctions sexuelles de la maladie chronique, l’état des lieux. Première partie : fréquence, impact et gravité. Sexologies
Volume 25, Issue 1, January–March 2016

(6) Dr Vittorio Giusti et Maude Panchaud. Profil psychologique du patient obèse. Rev Med Suisse 2007 ; 3 : 846-9

(7) EMDR : Eye Movement Desensitization and Reprocessing 
(Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires)

Des études au Québec et un livre

Sexologue diplômée d’un certificat en sexualité humaine de l'Université Laval à Québec et d’une licence et maîtrise en sexologie de l'Université du Québec à Montréal, Muriel Baccigalupo a enseigné au Diplôme d’université de sexologie de Nîmes/Marseille.

Formatrice et consultante en santé sexuelle et maladies chroniques, elle a publié, en 2006, « Sexualité féminine au fil de la vie : une sexologue répond à vos questions ».
Cet ouvrage de 250 pages, édité par les Presses du Châtelet, aborde tous les aspects de la sexualité féminine, des découvertes de l'enfance aux plaisirs du troisième âge.

Régulièrement sollicitée dans le cadre d’émissions télé et radio, Muriel Baccigalupo a également participé à la création de SexBalance, un jeu d’éducation thérapeutique en santé sexuelle.

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