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Sensibilisation Préjugés

Jeanne, une optimiste au franc-parler…qui « prend un kilo à chaque choc émotionnel »

Une rupture professionnelle, un déménagement synonyme d’isolement et des soucis personnels ont provoqué le surpoids de cette mère de famille courageuse et enthousiaste. Si elle s’affiche, c’est pour ouvrir les esprits à la diversité des corps. Rencontre avec une maman joyeuse et déterminée.

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Avec ses cerises en guise de boucles d’oreilles, Jeanne, 45 ans, revendique sa bonne humeur et sa joie de vivre. Elle a pourtant connu des hauts et des bas, cette maman de trois grands enfants. Elle qui pesait 52 kilos et s’habillait en taille 36 choisit désormais ses vêtements dans le rayon 46/48 des magasins de vêtements. Ses trois grossesses n’expliquent pas tout. 

Loin de là. Jeanne se souvient précisément de l’époque où elle a commencé à prendre du poids. « Je travaillais comme ambassadrice pour une grande marque de parfum dans un aéroport, j’adorais mon métier. Je rencontrais beaucoup de monde et, avec mon mari, on rêvait d’une vie à la campagne pour les enfants. » 

La suite est moins idyllique. Une douloureuse rupture professionnelle, le déménagement dans un endroit isolé qui lui déplait, la perte de relations sociales, patatras : « A partir de ce moment-là, j’ai pris un kilo à chaque souci, à chaque mauvaise nouvelle, explique Jeanne. Les disputes à répétition, le décès de mon père, ma voiture qui se casse… tout cela me faisait prendre du poids sans même manger, sans me réfugier dans les sucreries, sans rester dans mon canapé à me morfondre. » 

A chaque événement plus ou moins contrariant, elle prend ou perd du poids. Son corps réagit à chaque émotion au point de flirter avec la barre des 90 kilos. Au point aussi qu’aujourd’hui elle avoue, non sans garder le sourire, que ses kilos se promènent « des oreilles aux orteils ». 

Loin de se laisser abattre, elle essaye de comprendre, consulte plusieurs professionnels de santé, enchaîne les examens. Le bilan hormonal n'explique rien, elle ne souffre pas non plus du syndrome des ovaires polykystiques. Si Jeanne n’exclut pas que son obésité relève en partie de la génétique, elle accuse en priorité ses propres ressorts psychologiques. 

Avec espoir et détermination, elle tente l’ostéopathie, l’hypnose, la sophrologie. « J’ai rencontré des magnétiseurs et divers psychothérapeutes, mais rien de bien convaincant. » Face à l’absence de résultat, elle se hasarde sur la voie des régimes : court et drastique ou long et équilibré. Le résultat se révèle décevant… et coûteux !

Pour Jeanne, l’obésité n’est pas un choix : « Il faut accepter ces personnes, ne pas les dénigrer ».

La chirurgie comme recours ultime, elle ne veut pas en entendre parler, du moins aujourd’hui. Pourtant, son médecin l’envisage. « Je ne le souhaite pas. Je ne suis pas prête. Je préfère accepter mes kilos en trop que de me faire opérer », assure-t-elle. 

Sa priorité, ce sont ces enfants. Sa famille qui l’aime et la soutient. 

« J’assume mon obésité mais je ne la revendique pas. Bien sûr que je voudrais être mince, mais je ne m’interdis pas d’aller à la plage, à la piscine… Si j’attends d’avoir perdu du poids, je vais passer à côté de loisirs. C’est comme pour les photos de vacances avec mes enfants, je les accepte car sinon, ils n’auront pas de souvenirs de leur mère plus tard. »

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De la photo de famille à l’affiche grand format, Jeanne a franchi le pas. Question d’engagement pour dénoncer les préjugés qui entourent l’obésité (1), question de défi personnel aussi. 

« Se faire photographier et s’afficher, c’est un sacré challenge car savoir que les autres vont poser le regard sur moi m’inquiète tout autant que cela me motive. Sur une affiche, on est figée, les gens ont le temps de l’observer, la décortiquer, la critiquer, de la juger. Mais il y en a ras-le-bol des préjugés sur les obèses, c’est peut-être le moment de dire clairement les choses. Le public doit aller au-delà de l’apparence physique. Moi, je ne cultive pas un sentiment de culpabilité, mais un sentiment de colère. Je connais ma vie, je sais que je ne fais pas d’excès et que l’obésité s’impose à moi. Le problème, c’est qu’en France, on nous catalogue comme gros mangeurs, buveurs de soda, écroulés comme des fainéants dans un fauteuil. Je suis tout le contraire », revendique Jeanne avec son franc-parler.

« J’assume mon obésité, mais je ne la revendique pas » 

-Jeanne

Ainsi, quand on lui demande quel peut être l’impact sur le grand public de cette campagne de sensibilisation sur les murs du métro parisien et sur les réseaux sociaux, elle répond avec la même franchise : « Pour interroger le regard des autres, pour qu’ils se remettent en cause. Pour que les gens s’habituent à voir des personnes obèses, en surpoids, qui sont différentes de la norme. Il faut dire stop à ce diktat des corps bien formés, qui correspondent à une image codée de notre société. On est nombreuses à travers le monde à ne pas avoir un corps parfait, mais on a droit de cité. On a le droit d’exister. Cela ouvre l’esprit aux gens de s’habituer à voir des personnes différentes, ou très maigres ou qui arborent une tache sur le corps ». 

Jeanne plaide la tolérance. Sans doute parce que dans sa vie professionnelle, plusieurs opportunités lui ont échappé en raison de sa corpulence. 

« Je ne provoque pas mon surpoids. Quand on me renvoie à ma propre responsabilité alors que ce n’est pas le cas, je ne suis pas d’accord. Je refuse d’être stigmatisée pour quelque chose dont je ne suis pas responsable, poursuit-elle en reconnaissant assumer ses kilos. J’ai appris à vivre avec. Je trouve des vêtements de couleur qui me rendent jolie, heureuse. J’ai une vie relationnelle, j’ai beaucoup d’amis, on me dit souvent que je suis jolie. »

Jeanne n’aime ni la résonance du mot ‘’obèse’’ ni son cortège de préjugés . « Le terme  existe, mais je le bannis. Je ne dis jamais que je suis obèse. Je ne l’intègre pas sauf lorsque je rencontre mon médecin ou que j’achète des vêtements. J’ai toujours fait comme si mon obésité n’existait pas, mais elle est là. ». Jusqu’à faire l’objet de conseils pas toujours bien attentionnés. « Me dire même amicalement que je dois faire un régime, m’envoyer vers la caisse réservée aux femmes enceintes dans les grandes surfaces ou m’entendre dire par un médecin que je dois avoir une meilleure hygiène de vie relèvent des préjugés. Il faut casser cette image culturelle, la dépasser. L’obésité a une connotation nord-américaine. Cela renvoie à l’image de la consommation excessive de fast-food et d’une vie trop sédentaire », insiste-t-elle avec conviction. 

Pour elle, il n’existe pas une obésité mais des obésités. Elle reste d’ailleurs persuadée que la société finira par accepter ce constat car « de plus en plus de familles vont avoir des personnes touchées dans leur entourage ». D’un naturel optimiste, elle pense que le point de vue des gens finira par évoluer. « Pour sortir de leur souffrance, les personnes en surpoids doivent s’aimer, être aimées par les autres et, surtout, parler, raconter, expliquer. » Jeanne reste catégorique : c’est quand on se tait qu’on devient des cibles.

Philippe Saint-Clair

Références
  1. La campagne de sensibilisation Novo Nordisk « Les préjugés ne soignent pas l’obésité » sera visible du 28 février au 6 mars 2022 dans 300 emplacements du réseau des transports franciliens et sur les réseaux sociaux.
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